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Et si la conscience ne serait que la manifestation de l’Amour tout court?

DI CHRISTIAN PAGANO

Paris – On peut dire de la Conscience ce que st. Augustin disait du Temps dans ses Confessions : Si personne ne me demande, je sais. Si on me le demande et que je veux l’expliquer, je ne sais plus.
On a littéralement tout dit de la conscience, car tout passe par elle. Il n’y a aurait alors une liaison entre la conscience, la réalité, l’agir  et le temps qui passe ? Certainement mais laquelle ?

Une des difficultés de définir la conscience  vient du fait qu’on a besoin d’elle pour définir quoi que ce soit, et donc le danger permanent d’une pétition de principe (« le couteau ne peut se couper lui-même » disent les bouddhistes). Ce serait alors un argument circulaire ou sophisme. Un’ autre difficulté vient du l’emploi premier du terme  qui  a été (et le reste)  celui de  conscience morale,  qui comporte non seulement  la faculté de discerner le bien et le mal, mais aussi une acception intégrale de l’humain, en tant que  « relation » foncière corps-esprit  en soi indéfinissable, car vivante. Cela est corroboré de sa faculté principale qui est celle de la réflexivité et aussi d’une certaine transparence.

En première approche, donc,  la conscience avant d’être  connaissance  de quelque chose,  se manifeste comme une donation  complexe.
Elle  comporte d’une part  l‘idée d’une  possibilité infinie, que chacun peut constater en soi,  et par la même  une  conscience différentiée  de « soi »  et du fini,  et  d’autre part,  une capacité évolutive de dire et de  juger ce fini,  en tant  qu’ inachevé, et qui est  à poursuivre instamment. La conscience est donc  toujours originale, car originelle,  et,  comme dit le mot con-science, exprime une « consapevolezza » autant dire   une reconnaissance de quelque chose d’infiniment inaugural et relationnel, qui  coïncide  avec une régénération permanente de soi.. Instrument humain par excellence,  point de croisement et   source  de  l’intelligence et de la volonté, la conscience révèle ainsi à des niveaux divers avec  intensité variée,   les connexions  entre le Visible et l’invisible,  dans le  sens de l’oracle de Delphes:« connais toi toi-même et tu connaitras les dieux et toute chose »   Herméneute en acte donc, la conscience   procédant plutôt par  négation, constatant l’inachèvement de toute chose,   pourtant elle ne signifie pas  un interdit en tant que tel, mais plutôt un impératif, d’aller ou pas aller outre. Ce qui  permet à la conscience, le bénéfice entre tous  singulier, de ce qu’on appelle un libre arbitre.  

Les récentes expériences, de Benjamin Libet montrent un décalage de quelques dixièmes de seconde entre l’activité cérébrale qui met en fonction une action et la conscience  qui se porte sur ces états mentaux, pouvant  en dernière instance exercer un droit de veto et en ce sens  un libre arbitre.

Toujours est-il  impossible localiser quelque part dans le corps humains, avec exactitude  la conscience qui est cependant le siège de toute expérience et par conséquent de toute représentation qui forment la culture d’une époque ce que Michel Foucauld appelle Epistémè, ou dans les termes de Arthur Schopenhauer : le monde comme volonté et comme représentation et  “inconscient collectif”.

C’est seulement récemment à partir de Descartes,(le fameux cogito ergo sum,) que la conscience est devenue le lot de toute discipline, y compris les  plus récentes, où on redécouvre que la connaissance de soi et du  monde, vont toujours ensemble, ainsi que la conscience de l’espace-temps qui passe, de la succession, de la contingence,  de l’évènement,  qui toutes manifestent une « relation » foncière à la base du réel, mieux encore une passion au sens actif et passif, car cela, par son incomplétude et incertitude, génère souvent de la  souffrance. .

Il existe de nombreuses théories qui s’efforcent de rendre compte de ce phénomène. Citons quelques unes : 

  • Le petit Robert attribue à Malebranche (1676) la définition de conscience comme “connaissance immédiate de sa propre activité psychique”.
  • Pour Jean-Jacques Rousseau , la Conscience, malgré la diversité et la variabilité des mœurs et des connaissances,  est « universelle » : elle est en chaque individu la « voix de la nature : « quoique toutes nos idées nous viennent du dehors, les sentiments qui les apprécient sont au-dedans de nous, et c’est par eux seuls que nous connaissons la convenance ou disconvenance qui existe entre nous et les choses que nous devons respecter ou fuir » (Emile, Livre IV).
  • Posséder le « Je » dans sa représentation, écrit Kant, élève infiniment l’homme au-dessus de tous les êtres vivants sur la terre. Par là il est une personne… Mais cette aptitude à nous reconnaître dans nos propres actes, qui n’est pas dissociable de la liberté, est aussi source de souffrance. Puisque je suis conscient de ce que je fais, je dois en répondre devant les tribunaux humains mais aussi devant ma propre conscience, à laquelle je ne peux échapper. Un homme sans conscience ne serait plus un homme. Or il arrive que notre conscience nous tourmente malgré nous, en nous reprochant des actes ou des pensées que nous n’avons pas voulus. (Anthropologie du point de vue pragmatique).
    Selon Husserl qui reprend un concept médiéval, toute conscience est conscience de quelque chose. Donc, non plus une substance, mais  une relation toujours en acte, ce qu’il appelle Intentionnalité. A sa suite est  nait  la phénoménologie qui  insiste sur le caractère ouvert de la conscience : nous avons besoin de l’autre pour accéder à nous-mêmes. « L’autre est le médiateur entre moi et moi-même » (Sartre. La conscience n’est pas entièrement transparente à elle-même, ni maîtresse d’elle-même. Pour nous comprendre nous même, pour nous construire, nous avons besoin des autres. C’est le visage de l’autre qui nous interpelle (Levinas).  La conscience n’est donc pas le miroir de tout l’univers, mais plutôt un miroir de miroirs qui répercute sans fin les images entrelacées de nous-mêmes, des nos proches et de l’univers dans son ensemble. On appelle  intersubjectivité la communication immédiate et intuitive des consciences entre elles. 
  • Plus récemment  Jean Pierre Changeux parle d’un « espace de travail neuronal » constitué de neurones momentanément coactifs, qui forment le siège de la conscience. Il est contredit par Stuart Hameroff, pour qui le cerveau est bien l’organe à travers lequel la conscience se manifeste mais il n’est pas ce qui produit la conscience.
  • Selon Alain, la conscience est « le savoir revenant sur lui-même et prenant pour centre la personne humaine elle-même, qui se met en demeure de décider et de se juger. La conscience est toujours implicitement morale …On nomme bien inconscients ceux qui ne se posent aucune question d’eux-mêmes à eux-mêmes » (Définitions, dans Les Arts et les Dieux).

     La conscience  fait aussi l’objet des travaux de Daniel Dennet qui  introduit la notion de qualia, dans le sens stoïcien de « touché intérieur. Avec Antonio Damaso et tant d’autres la conscience devient l’objet principal de  toutes les sciences dites cognitives qui utilisent de plus en plus la science quantique, comme chez Roger Penrose  (1989, 1994)

Mais il y a eu aussi multiples critiques de la conscience à partir de Spinoza, pour lequel la conscience n’est que le redoublement des “affects” que nous subissons par l’action des choses extérieures.  Nietzsche  pour lequel l’unité du moi n’est qu’illusion. Heidegger qui rejette toute philosophie de la subjectivité, sans parler du  mouvement dit “structuralisme” pour lequel l’autonomie de la conscience n’est qu’un leurre.  

  • Finalement  ces sciences n’échappent pas totalement au danger d’une  pétition de principe car  comme Auguste Comte « On ne peut pas se mettre à la fenêtre pour se regarder passer dans la rue ». Le sujet ne peut en effet s’observer objectivement puisqu’il est à la fois l’objet observé et le sujet qui observe, d’autant que la conscience se modifie elle-même en s’observant » 
  • Une considération à part mérite l’œuvre de Sigismond Freud qui a conduit à la naissance de la Psychanalyse, où l’on soigne par les mots des maux, à savoir les symptômes de mal être, à cause d’un refoulement dans ce qu’il appelle inconscient. .  Freud découvre ainsi  pourquoi les raison d’agir de l’homme lui échappent souvent, mais aussi des limites de la mémoire dont les souvenirs qui ne sont pas toujours conscients; puisque souvent refoulés :ils demandent à être explicités, et ainsi  redevenir  disponibles en fonction d’une cure  psychanalytique. Dès lors Freud donne un image trinitaire à sa conception ; à savoir une double triade, d’une part: le ça, le moi et le surmoi, d’autre  part  la conscience, la préconsciente et l’inconscience qui se croisent entre elles déterminant aussi des conflits que Freud suppose en tout homme. Voilà un’ esquisse du croisement de ces deux topiques

On peut dire, enfin, que c’est plutôt dans la Litérature qu’on trouve les meilleures déscriptions des soi disant états d’âme qui sont ceux de la conscience, notamment dans des auteurs comme Dante, Shakespeare, Dostoïevski, Tolstoï, Victor Hugo, Goethe  et tant d’autres, qui, tous, mettent en relief  le conflit latent dans chaque homme ballotté entre le fini toujours inachevé, et l’infini, oxymore et métonymie de l’Un, happé par le besoin d’être autre et, en même temps, soi-même, conscient de sa grandeur mais aussi de sa faiblesse, comme dit Pascal: « La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable…’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature. Mais c’est un roseau pensant  »  

Et pourtant si la dualité est toujours là,  l’unité n’est jamais perdue. Fondée, donc, sur l’affirmation originaire et infinie qui s’affirme en moi, par moi, sans être tout à fait  de moi, la conscience exprime à la fois  une donation mais aussi un désir d’un amour infini, qui ne fait qu’un avec la compréhension de soi même. En ce sens, la conscience plus que tout autre chose répond à la définition même de la philosophie, comme amour de la sagesse. Et si la conscience ne serait que la manifestation de l’Amour tout court?Immagine